Données de santé : de l’inutile à l’impossible ?

La France consacre un milliard d’euros à stocker des données de santé, sans pouvoir bénéficier des analyses utiles à la décision politique, à un moment où elle lance sa stratégie nationale de santé.

C’est le constat,  bien ennuyé,  du congrès de la FNORS (Fédération Nationale des Observatoires de la Santé), qui se réunissait les 4 et 5 avril 2013 à Bordeaux. Bien que l’assurance maladie ait amélioré son dispositif d’accès aux fichiers du SNIIRAM (Système d’Information Inter-Régime de l’Assurance Maladie), celui ci reste très complexe. C’est l’héritage de notre histoire. L’assurance maladie compte pour pouvoir payer au juste prix, et les fichiers sont d’abord des outils d’évaluation des coûts, difficilement exploitables pour en tirer des études qualitatives. Certes, par des recoupements sophistiqués, on pourrait suivre les bénéfices attendus des traitements, ou les inconvénients, mais on reste loin des enjeux de suivi des maladies, et de leurs évolutions.

Il s’agit bien de travailler, selon le Pr Marcel GOLDBERG (1) au chainage des données, à leur inter-opérabilité et à leur suivi dans le parcours de soins, objet central de la stratégie nationale de santé du gouvernement. A cela s’ajoute la question de l’anonymat des données et la protection des individus que défend, à juste titre, la CNIL(2). Or l’évolution des forums et autres échanges google ou big data sont diffusés et plébiscités par les internautes. Les usages révolutionnent les pratiques et prennent de court les autorités.

Les organisations latérales seraient elles en train de prendre de vitesse les organisations hiérarchisées? On peut s’y attendre, comme je l’ai déjà évoqué en référence à la troisième révolution industrielle (3).

Pas à pas, la France s’organise pour croiser ses données de santé, de manière insuffisante et trop lente selon les experts. Avec 65 millions de dossiers, le paquebot est lourd à manoeuvrer. Son inertie est cruellement handicapante pour les chercheurs et les épidémiologistes. On parle de cinq ans de retard pour la France qui n’a que très peu d’informations sur les épidémies de maladies chroniques, alors que les autres pays disposent des données leur permettant d’éclairer la décision politique.

Le Quebec, présent à ce congrès, nous donne une leçon de bon sens, avec la mise en place d’un plan de surveillance des données de santé, au niveau régional. Son but est de contribuer au renforcement de la capacité de surveillance de l’état  de santé de la population et de ses déterminants, pour éclairer la prise de décision politique.  Adapter les bases conceptuelles en développant une compréhension commune de la surveillance, et la partager. Adapter les pratiques et rendre la diffusion efficace. Mieux répondre aux besoins des utilisateurs. Améliorer les moyens de production en développant une approche de collaboration et de partenariat, et en les formant. Et bien sûr, évaluer.

Plus facile à faire à 8 millions d’habitants qu’à 65, la question du dimensionnement régional et de sa souplesse d’adaptation est posée ? Celle d’une organisation régionale pré-figuratrice du changement de paradigme aussi. Le changement est maintenant reconnu comme une nécessité par les professionnels, il ne pourra se faire qu’en révolutionnant la surveillance des données et leur exploitation. C’est une nécessité indispensable pour conduire une politique de santé adaptée. La France n’est pas prête. Pire encore, le risque pour les autorités est de se faire dépasser par les internautes. Il est donc urgent de surmonter le problème des données de santé impossibles ou inutiles, dans l’intérêt supérieur du patient et du citoyen.

Solange MENIVAL

1) Pr Marcel GOLDBERG, épidémiologiste, Président du groupe de travail « système d’informations pour la santé publique » du Haut Conseil de Santé Publique

2) Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés.

3) En référence à Jérémy RIFKIN, sur mon blog, mars 2012.

 

Comments

  1. De nouveau une excellente analyse ….
    Et si toutes ces difficultés étaient la conséquence de notre jacobinisme excessif ?
    Les pays ou les régions qui réussissent mieux aujourd’hui sont de petits pays de la taille d une grande région française ( Finlande, Danemark,etc.) ou les pays qui ont choisi le fédéralisme en déconcentrant au niveau des régions la gouvernance de la santé ( Andalousie et Pays Basque en Espagne, Algarve au Portugal) La solution a ces difficultés passent donc d’abord par les choix politiques inspirés des  » girondins » dont fait partie Solange Menival, les professionnels de santé suivront….

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